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“Baudelaire, la modernité mélancolique”, l’exposition-événement de la BnF

Fatma Alilate 30 décembre 2021
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Odilon Redon, "Gloire et louange à toi, Satan… ", 7e pl. de la série des illustrations pour "Les Fleurs du Mal", Bruxelles, E. Deman, 1890 BnF, dpt. des Estampes et de la photographie © BnF

Odilon Redon, "Gloire et louange à toi, Satan… ", 7e pl. de la série des illustrations pour "Les Fleurs du Mal", Bruxelles, E. Deman, 1890 BnF, dpt. des Estampes et de la photographie © BnF

La Bibliothèque nationale de France propose jusqu’au 13 février 2022 une exposition riche et foisonnante pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire (1821-1867). Près de deux cents pièces sont rassemblées dont les épreuves corrigées par Baudelaire de la première édition des Fleurs du Mal (1857).

L’exposition a pour fil conducteur la mélancolie et permet d’être au plus près du processus créatif du poète, de ses sources d’inspiration et de sa personnalité.

Feuille d’épreuve corrigée de la page de titre de l’édition originale des "Fleurs du Mal", 1857 BnF, Réserve des livres rares. © BnF

Feuille d’épreuve corrigée de la page de titre de l’édition originale des “Fleurs du Mal”, 1857 BnF, Réserve des livres rares. © BnF

Un sentiment de l’exil

Le visiteur est accueilli par une citation du poète : “La poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde.” En 1843, Baudelaire a vingt-deux ans, il a hérité de son père et vit à l’Ile Saint-Louis. Une série de lithographies de Delacroix qui était affichée aux murs de son appartement illustre des épisodes d’Hamlet. Le jeune Baudelaire – dont on voit le portrait de son ami Emile Deroy – a été fasciné par ce personnage de Shakespeare, il a vu un double de lui-même et peut-être sa triste destinée. Dandy élégant et très dépensier, il mène une vie fastueuse de bohème. Dès 1844, sa famille le place sous tutelle en lui attribuant une modeste rente, ce qui le condamne à des difficultés matérielles et à un état de minorité. Une carte impressionnante montre les différents lieux dans lesquels Baudelaire a vécu ou plutôt par lesquels il est passé. Le poète de la ville de Paris a erré dans une multitude de logements, cela a accentué un sentiment de l’exil. Cette mise sous tutelle de Baudelaire envenime les relations avec sa mère, des lettres rappellent la virulence de ses propos : “Vous avez donc des remords. Moi, je ne veux pas accepter l’expression de votre repentir (…) si vous ne redevenez pas immédiatement, et tout à fait, une mère.” Elle est l’épouse du Général Aupick qu’il déteste férocement.

Sous le portrait de son père, François Baudelaire, qu’il perdit à l’âge de cinq ans, le cartel indique un extrait d’une autre lettre datée de 1861 : “Je suis seul, sans amis, sans maîtresse, sans chien et sans chat, à qui me plaindre. Je n’ai que le portrait de mon père qui est toujours muet.”

Charles Baudelaire, "L’Ivresse du chiffonnier" copie autographe signée,1852 BnF, dpt. des Manuscrits © BnF

Charles Baudelaire, “L’Ivresse du chiffonnier” copie autographe signée,1852 BnF, dpt. des Manuscrits © BnF

La grande école de la mélancolie

Baudelaire qui a renouvelé la poésie en proposant une nouvelle esthétique a commencé par la critique d’art. Il a couvert des Salons et voué un culte immédiat à Delacroix, il s’est également passionné pour Constantin Guys, ce dessinateur qui captait les silhouettes, l’instant, et qui restituait les scènes de la vie parisienne. Pour Baudelaire, le peintre “moderne” sait révéler les impressions fugaces et “dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique”. Le parcours de l’exposition permet de découvrir l’univers de Baudelaire et les rencontres qui l’ont inspiré. Le poète s’est soucié des plus humbles : les mendiants, les chiffonniers, les saltimbanques, les “Petites Vieilles”. Dans “la grande école de la mélancolie”, il convie Chateaubriand, Sainte-Beuve, Théophile Gautier et bien sûr Delacroix. Sensible à l’étrangeté, “condiment nécessaire de toute beauté”, Baudelaire s’est enthousiasmé pour Edgar Poe, un autre double, dont il a traduit des nouvelles.

Il a aimé avec passion Jeanne Duval, une comédienne métisse qui lui rappelait l’exotisme d’un voyage de jeunesse. Elle est d’ailleurs moquée par une autre de ses Muses, Madame Sabatier, inspiratrice de neuf poèmes. Dans une vitrine est exposé un exemplaire des Fleurs du Mal qui lui a appartenu, l’étui est recouvert d’un tissu de soie qui provenait de sa chambre. Le livre est ouvert sur un dessin du poète représentant Jeanne Duval, Madame Sabatier l’a annoté avec ironie : “Son idéal !”

Scénographie - l’Eau-forte "Death on a Pale Horse" de Joseph Haynes, d’après le dessin de John Hamilton Mortimer © Fatma Alilate

Scénographie – l’Eau-forte “Death on a Pale Horse” de Joseph Haynes, d’après le dessin de John Hamilton Mortimer © Fatma Alilate

L’image de la Mort

Toute une partie de l’exposition est consacrée à l’image, la “primitive passion” de Baudelaire. Suggérée par les “parfums, les couleurs et les sons”, elle a un aspect mélancolique car elle renvoie au sentiment de l’absence. L’ambiance sonore est animée par différents points d’écoute des œuvres du poète : Le Spleen de Paris, Mon cœur mis à nu, des mélodies… En début d’exposition, la lecture de L’Albatros par le comédien Pascal Rénéric alterne avec un extrait du Vaisseau fantôme de Richard Wagner – musicien défendu et vénéré par Baudelaire -, et la lecture d’une des nombreuses lettres adressées à Madame Aupick. La musicalité des vers de Baudelaire a inspiré des compositeurs comme Henri Duparc. La scénographie à plusieurs tons s’appuie notamment sur deux thématiques. Le voyage est illustré par un papier peint panoramique représentant Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. La Mort apparaît sur un pan de mur par l’Eau-forte Death on a Pale Horse de Joseph Haynes, d’après le dessin de John Hamilton Mortimer – à la source du poème Une gravure fantastique. L’image de la Mort est aussi évoquée par les “noirs” d’Odilon Redon qui a illustré les Fleurs du Mal.

Paris qu’il n’a cessé d’arpenter occupe une place importante, Baudelaire a fait entrer en poésie la grande ville moderne. Après la censure de six poèmes des Fleurs du Mal, il ajoute à la seconde édition de 1861, la section des Tableaux parisiens. Il vécut dans une ville-chantier transformée par les travaux du baron Haussmann. L’exposition présente les gravures de Charles Meryon, Baudelaire avait souhaité écrire des “rêveries” de plusieurs lignes pour chacune d’elles. A sa mère, il écrit : “Tu te trompes en appelant cela le vieux Paris. Ce sont des points de vue poétiques, tel qu’il était avant les immenses démolitions et toutes les réparations ordonnées par l’Empereur.”

Charles Baudelaire, "Autoportrait sous l'influence du haschisch", 1842-1845. Plume et lavis rehaussés de vermillon. Coll. part. © BnF

Charles Baudelaire, “Autoportrait sous l’influence du haschisch”, 1842-1845. Plume et lavis rehaussés de vermillon. Coll. part. © BnF

Cette exposition se conclut en miroir du prologue sur les portraits photographiques et autoportraits dessinés de Baudelaire. Pour une même série de photographies, il apparaît différemment. Le cartel du portrait de Courbet rappelle les difficultés du peintre, car le poète changeait tous les jours de figure. Cela fait écho à la graphie de Baudelaire, qui étonnamment n’est pas semblable dans les documents présentés. Le portrait flou de Nadar est intéressant, cette photographie ratée semble avoir saisi son impossible identité à soi. Le portrait réalisé par Carjat en 1866, un an avant la mort du poète, montre une grande douleur. Baudelaire a subi une attaque cérébrale qui l’a rendu hémiplégique et l’a privé de la parole. Théophile Gautier témoigna de sa souffrance : “L’intelligence n’était pas éteinte mais brûlait comme une lampe dans un cachot.”

L’exposition, très complète, offre des trésors : les critiques des Salons, les éditions initiales des poèmes de Baudelaire diffusées dans la presse, l’article du Figaro qui a conduit au procès des Fleurs du Mal, et une iconographie remarquable.

Fatma Alilate

Catalogue Baudelaire, la modernité mélancolique sous la direction de Jean-Marc Chatelain. Auteurs : Sylvie Aubenas, Rémi Brague, Jean-Marc Chatelain, Antoine Compagnon, Julien Dimerman, André Guyaux, Jean-Claude Mathieu, Andrea Schellino, Valérie Sueur-Hermel. 224 pages, 100 illustrations, 29 euros – BnF Editions.

Portrait de Baudelaire "aux gravures" par Étienne Carjat, vers octobre 1863. BnF, dpt. des Estampes et de la photographie © BnF

Portrait de Baudelaire “aux gravures” par Étienne Carjat, vers octobre 1863. BnF, dpt. des Estampes et de la photographie © BnF


Autour de l’exposition

Cycle Cinéma de midi : Baudelaire, esthétique moderne

Les séances du Cinéma de midi font découvrir sur grand écran des films documentaires issus des collections audiovisuelles de la BnF – Petit auditorium I 12h30 – 14h

Mardi 25 janvier : Mélancolies de la gravure

Rodolphe Bresdin : 1825-1885, de Nelly Kaplan, 1962, 17 min

Les prisons imaginaires de Piranèse, de Bertrand Renaudineau, 2014, 40 min

ou Le Chevalier, la Mort et le Diable de Albrecht Dürer, de Bertrand Renaudineau, 2009, 35 min

Mardi 15 février : Tableaux parisiens

Les Dites Cariatides d’Agnès Varda, 1984, 12 min

Sur les toits de Paris, d’Olivier Lassu, 2002, 55 min

Mardi 15 mars : Paradis artificiels

Images du monde visionnaire, de Henri Michaux et Eric Duvivier, 1964, 34 min

Champignon et hallucinations, de Jean Lallier, 1966, 30 min

Concert Baudelaire de François & The Atlas Mountains Mardi 18 janvier 2022, 18h30

Grand auditorium I 20h

Entrée : tarif unique 10 €– Réservation recommandée sur bnf.tickeasy.com.

Entrée gratuite pour les détenteurs d’un Pass lecture / culture ou recherche

La Nuit de la lecture samedi 22 janvier : Lecture

Lettres à ma mère de Charles Baudelaire par un comédien de la Comédie-Française

Grand auditorium I 20

Conférence

Jeudi 27 janvier : Baudelaire, peintre de la vie antimoderne par Antoine Compagnon, professeur au Collège de France

Petit auditorium I 18h30 – 20h

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